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À propos de la conception du Symposium : historiques, choix et perspectives.

Entretien avec Alain Michard
Propos recueillis par Amélie Matos et Aurélia Fradin, 4 février 2019, Paris.
Amélie : Quelle est la genèse du Symposium ?

Alain : Il y a en réalité deux origines.
D’abord, j'ai toujours réuni des artistes. Dans les années 1990, il s’agissait d’artistes comme Claudia Triozzi, Martine Pisani, Marco Beretini Philippe Riéra, Donata D’Urso, Sabine Macher... Je leur proposais de travailler ensemble à l'occasion de Cartes blanches que me donnaient les lieux qui m’accueillaient en résidence. En 1998, j'ai proposé à Nathalie Collantes, Julie Nioche, Rachid Ourandame, Emmanuelle Huynh, Boris Charmatz et la cinéaste Judith Cahen de se joindre à moi pour « Dazibao(s) », un temps de travail qu’on pourrait nommer « laboratoire ». L’idée était de s’affranchir de l’injonction de créer des pièces, de produire, et son pendant : l’obsession de les diffuser. Ceci pour faire un pas de côté dans nos parcours individuels, dans notre quotidien chargé, et prendre le temps
de rêver ensemble. Je leur ai alors proposé une rencontre à Marseille, dans le cadre du festival « Les informelles », au Théâtre Les Bernardines. L'année d'après, j'ai proposé une rencontre sur le même principe, aux chorégraphes Loïc Touzé, Catherine Contour, Fabrice Ramalingom, la danseuse Catherine Legrand, la chercheuse Isabelle Launay, et le photographe Michel Séméniako. Pour ce temps de laboratoire, intitulé Tollé, j'ai tout de suite pensé qu’il était important d’inviter des étudiants de l'école des Beaux-Arts de Rennes à se joindre à nous, en tant qu’assistants. Parmi ces étudiants, il y avait par exemple Mickaël Phelippeau que j’ai ensuite embarqué dans de nombreux autres projets pendant et après ses études.
Il est certain que ces différentes expériences ont conduit au projet de SYMPOSIUM.
La deuxième origine du Symposium est mon intérêt constant pour le dialogue avec les jeunes artistes. Par exemple, Katarina Andreou, rencontrée lorsqu’elle était au Centre National de Danse Contemporaine d’Angers (CNDC) au sein de la section « Essai », m’a tout de suite donné envie de la retrouver dans un projet. Ça a pris du temps mais elle est maintenant une des chorégraphes avec qui j’ai créé En danseuse(1). J'ai toujours eu ce souci et ce désir de rencontrer dans le travail des jeunes artistes. Parce qu’ils ont l’énergie de ceux qui commencent, sans rien à perdre et sans être blasés ou planqués. Ils ont des choses à m'apprendre, parce qu'ils sont de leur époque, qu’ils n'ont pas les mêmes références. Et si en plus ils sont étrangers ou sont issus d'autres pratiques artistiques c'est encore plus riche. En retour, je me sens une responsabilité, en tant qu'artiste déjà inscrit dans le paysage, dont la durée du parcours a structuré le travail, de créer les conditions pour accompagner des jeunes artistes et créer les conditions de leurs rencontres. Pour donner un exemple, une jeune circassienne croisée il y a cinq ans dans un workshop me demande de l’accompagner dans un de ses projets, et de porter administrativement un temps de résidence. J'ai dit tout de suite dit oui. On retient souvent de moi cette capacité à accompagner et organiser des rencontres entre artistes. Parfois, ça me peine un peu, car je peux entendre cela comme « ce que je fais de mieux », sans considérer mes pièces et mes films… Pour moi, travailler sur un projet c'est d’abord créer une bande. Mais ça ne m’intéresse pas de former des groupes uniquement dans le cadre de mes propres créations.
Le Symposium réunit plusieurs désirs et réflexions. Peut-être est-ce une anticipation d’un projet à long terme, de création d’un lieu, d’une école (entendue au sens large), peut-être un lieu nomade où des artistes de toutes générations travailleraient alternativement sur leurs propres projets artistiques, participeraient à ceux des autres, et se donneraient des workshops ? Dans le cas des jeunes artistes, ils n’ont souvent pas eu l'occasion d'enseigner. Cette plateforme proposerait aussi à des étudiant.e.s de se former en accompagnant les projets d'artistes plus avancés en résidence dans le lieu. Ainsi, ils se formeraient aux questions de production, de logistique, et d’accueil du public, puisqu’il y aurait des ouvertures. Dans le cas de jeunes artistes sortis des écoles et universités, il est important de penser qu’ils continuent, après leur diplôme, d’avoir besoin d'être accompagnées. Est-ce que ce qui définit la maturité d’un artiste est son moindre besoin d'accompagnement ? Ce n’est que partiellement vrai, parce qu’il y a toujours un besoin d’écoute, de retours, d’échanges, sur le plan artistique comme sur celui de la pensée qui soutient la création. Et ils manquent ces retours, car les responsables des lieux sont souvent muets, et les gens qui pensent et écrivent sur la danse sont accaparés. Mon projet d’école à long terme, de lieu de rencontres intergénérationnel, pluridisciplinaire et international, ne se réalisera peut-être jamais, étant donnée la difficulté à trouver des financements dans le contexte actuel de perte de compréhension de la place de l’art et de la formation artistique, de la part des responsables politiques.
Le Symposium est peut-être cette école rêvée, ou du moins son embryon. Je donne un sens large au mot « école ». Il y a trois ans environ j'ai réuni des artistes issus de différents champs à l’Hôtel Pasteur de Rennes(2) pour partager nos réflexions sur le sens du collectif, avec en arrière-plan, un projet d’Ecole nomade. Et il y a de nombreuses années, sur le sujet de la formation, j’ai fait partie du groupe dit des « Signataires du 20 août(3) », qui a beaucoup œuvré à repenser les formations artistiques. D’ailleurs, je me demande toujours pourquoi aujourd'hui les jeunes artistes ne prennent pas en charge un mouvement de ce genre pour apporter leur point de vue et leur action dans le contexte actuel. Ils pourraient déjà se réunir pour réfléchir ensemble à cette question, de manière transdisciplinaire et transnationale, afin de porter une parole auprès des politiques et des responsables des institutions. Car cela ne concerne pas seulement les élus et le Ministère de la Culture, mais aussi les théâtres, les centres d’art, les universités, les écoles supérieures… Je regrette que ces artistes ne se fédèrent pas pour constituer une force de proposition, un levier. Loïc Touzé, à qui je parlais de ce désir de les réunir pour agir, m’avait répondu : « Laisses-les se réunir tous seuls, ils n'ont pas besoin de toi. Soit ils se réunissent parce qu'ils en ont besoin, soit ils ne se réunissent pas parce qu'ils n'en ont pas besoin, pas envie ou pas la force ». Cela ne m’ôte pas l’envie de le faire, de créer un réseau international autour de ces questions. C’est sans doute cela qui m’a amené à concevoir le Symposium !

Aurélia : Comment as-tu choisi les artistes invités pour cette première édition ?

Alain : Pour chacun et chacune des quatorze artistes il y a un cas particulier. Par exemple, Liévine Hubert a été stagiaire au sein de ma compagnie Louma, pendant six mois. C’était très agréable de travailler ensemble. Elle était très intéressante et avait apporté un soutien important à la compagnie. Elle aussi était contente de faire son stage à Louma, mais au-delà du bilan positif je me sentais redevable d’un soutien, et de la rencontrer en tant qu’artiste. Dans le cas d’Inês Campos, je l’ai rencontrée à Lisbonne, où elle faisait partie d'un collectif. Ils m’avaient invité à une de leurs répétitions et à cette occasion j'ai vu qu’Inês est une extraordinaire interprète. Nous nous sommes à nouveau rencontrés plus tard, elle m'a beaucoup marqué, pour son travail autant que par sa personne. J’ai fait la proposition à tous les artistes de ce collectif de participer au Symposium. Deux ont répondu : Mathieu et Inês. Mon idée était de chercher des gens avec une diversité d'origines géographiques, une diversité de pratiques, de personnalités. J’ai constitué un groupe que je pouvais imaginer vivre et travailler ensemble, même si je ne savais que peu de chose de la plupart. Il fallait que ce soit des personnes capables de partager une générosité, un plaisir d'être avec les autres, d'apprendre de chacun, le tout dans une énergie joyeuse. Ce qui fut le cas. Je ne vais pas parler de tout le monde, mais le cas d’Anya Kravchenko est intéressant. Je l'avais vue à « À domicile »(4) dans un projet de Virginie Thomas et en la voyant danser, dans une prairie, je l’ai trouvé extraordinaire. J'avais l'impression qu'elle allait dévorer les autres interprètes, comme un espèce de monstre de beauté angélique. Ensuite, j’ai assisté à une présentation de son travail à Honolulu(5), sur lequel nous avons beaucoup échangé. J'ai compris qu'elle avait un grain de folie mais aussi la capacité de s'intégrer à un groupe. Elle a une forme de poésie qui me touche beaucoup. Les artistes invités au Symposium ont tou.te.s une pratique du collectif. Par exemple, Guiomar Campos m'avait invité à l'université de Brest, où elle était étudiante, à participer à des rencontres avec des artistes espagnols, dont les membres de son collectif madrilène, avec qui elle travaille avec des personnes en situation de handicap. Zoé Philibert, Antoine Vallé et Théo Hillion constituent eux aussi un collectif. Ils ont participé, avec Mathieu Blond et Simona Rossi, à un de mes workshops aux Laboratoires d'Aubervilliers(6). Ils étaient tellement formidables tous les cinq que je leur ai dit : « Je vous vois déjà comme une compagnie. Vous devriez faire une pièce ensemble ! ». Ils sont venus quinze jours en résidence à Rennes, en amont du Symposium, dans la salle Ropartz que la Ville de Rennes nous avait confié pour un partie de l’été 2018. Ce rapport au collectif se retrouve chez la plupart des artistes invité.e.s : Liévine fait partie d'un groupe vocal entièrement constitué de femmes, Inês aussi. Juliet Davis a monté un lieu avec d'autres artistes à Manchester etc.
Amélie : Donc si je résume il y a deux pans : les affects et la dimension collective ?

Alain : Dina est la seule que je n'avais jamais rencontrée. Mais on m’avait parlé d’elle depuis longtemps. Loïc Touzé avait été l'un de ses enseignants à la formation « Exerce » du ICI-CCN de Montpellier – lorsqu’elle est arrivée de Moscou. Il l’avait beaucoup apprécié. Elle a monté une formation à Moscou qui s'appelle « Sota », dont elle a recréé l'équivalent à Bordeaux. Je l'ai contacté et je me suis dit que son engagement dans des formes collectives et sur le terrain de la pédagogie justifiait amplement sa présence. Ce qui s’est vérifié, alors qu’aujourd’hui encore je ne connais pas vraiment son travail d’artiste.

Aurélia : Le Symposium se définit comme une rencontre pour la jeune création européenne, pourquoi l’Europe ? 

Alain : C'est une bonne question. Quand j'ai commencé la danse à la fin des années 1980, la France était très franco-française. Des gens venaient d'ailleurs, mais les français ne s’éloignaient pas de leur géographie hexagonale. Alors qu’aujourd’hui les jeunes artistes sont sans frontières. Ce que je ressens très fortement pour moi aussi. L’espace géographique est ouvert. On peut travailler sur un projet en Norvège avec des artistes venu.e.s d’Argentine, de Turquie et du Québec, par exemple et c'est presque une norme, on ne se pose pas la question de l’origine. Notre espace de travail est devenu international, ou au minimum européen. Même si je fais ce constat, et que cela me donne envie d’ouvrir plus grand le champ, vers l’Afrique, par exemple, des raisons économiques me poussent à limiter le Symposium à l’échelle européenne. Faire venir des japonais ou des brésiliens, par exemple, nécessiterait un important budget. De plus, et je le vois quand je voyage au Brésil, en Turquie ou au Japon, les contextes politiques y sont tellement éloignés du notre que ce serait difficile d’engager une dynamique politico-artistique avec ces pays. Car j’aimerais favoriser cet aspect du Symposium : qu’il ensemence ce qui pourrait devenir une plateforme européenne autour de la formation des artistes. En Europe, le moment est venu de se demander comment nous pourrions porter une voix artistique collective, au-delà des échanges culturels, en plaçant les enjeux de la création artistique, la question de la place de l'art, au centre d’une réflexion plus large sur la société. Il y a énormément d’échanges, de mobilité entre artistes. Ils font des écoles en Belgique, à Amsterdam, au Portugal etc. Mais il y a encore des difficultés à trouver des financements pour faire circuler les artistes et les œuvres, et surtout, fédérer les artistes pour que la question du soutien à la création artistique soit soulevée dans les instances européennes. Ça fait partie de l’idéal européen, s’il y en a un, mais peut-être est-il déjà dépassé, et faut-il élargir cette dynamique au monde, aux pays d’Afrique, de l’Amérique du sud, du Moyen-Orient. Louma n’a pas beaucoup de moyen pour mener un projet ambitieux comme le Symposium. Il faudrait trouver des financements européens et faire prospérer le Symposium en France, ou plusieurs Symposiums ici ou là. Mon idéal serait de voir ce projet dans tous les pays européens, qu'ils se croisent, qu’ils réunissent plusieurs groupes d'artistes, que ça finisse même par m'échapper. J’aimerais que ce soit une idée, un principe de travail repris par différentes personnes, à différents endroits. En tout cas, il est nécessaire de constituer une force européenne questionnant la réalité des artistes aujourd'hui.

Aurélia : Oui, si ces rapports sont voués à se reconduire c'est en effet plus envisageable de l'Espagne à Bruxelles plutôt qu’entre le Japon et la France par exemple. En terme économique mais aussi en terme humain, l’Europe est grande mais reste une échelle possible.

Alain : Nous avons des structures similaires, en France nous ne sommes pas si éloignés du fonctionnement des allemands, des belges, des italiens. Même en terme de gouvernement : c'est un peu le même rapport aux structures politiques, aux financements etc.

Amélie : Dans cette dimension économique, revendiquer une échelle européenne est une force ou au contraire quelque chose difficile à défendre auprès des subventionneurs ? 

Alain : On n’a pas demandé d'argent au niveau européen, mais ce serait bien de le faire. Au niveau des structures de subventions françaises, l’échelle européenne fait partie de ce qui pourrait les inciter à mieux nous soutenir. Si je leur disais : « Ce n'est pas un projet européen, mais franco-français », je pense qu'ils le soutiendraient, mais sa dimension européenne motive plus leur soutien. De ma part, c’est en partie stratégique, mais c’est loin de n’être que cela! 

Amélie : Donc il y a aussi un enjeu du côté des institutions à soutenir ce genre de projet à dimension européenne?

Alain : Oui. Même si on triche un peu parce qu'on présente Guiomar Campos comme madrilène alors qu’elle habite à Brest, à présent, après avoir été entre Madrid et Brest. 

Aurélia : Quel est l’enjeu d’interroger des jeunes artistes sur leur histoire personnelle de l'art ?

Alain : Même si ça peut sembler une banalité aujourd'hui, parce que tout le monde travaille sur l'Histoire de la danse, c’est une question sur laquelle je m’acharne depuis très longtemps. Dans ma première pièce, Le Panorama, on s’amusait dans le studio de répétition, avec Claudia Triozzi, à faire des parodies de tous les chorégraphes qu'on connaissait. C’est devenu une part importante de la pièce. Et cela s’est prolongé avec la pièce suivante, Où sont mes amis ? truffée de citations. À l'époque je me suis fait avoiné par certains programmateurs, qui m'ont dit : « C'est n'importe quoi ! Tu ne peux pas faire ton propre travail ?  Si tu dois citer les autres, c'est que tu n'es pas capable de faire quelque chose de totalement original, donc tu utilises l'écriture et les mots des autres ! ». À cette époque déjà, je disais que « j’étais fait de toutes les œuvres que j'avais vues ». Je suis un lecteur, un spectateur, un auditeur de musique etc. Tout cela me construit et suscite mon désir de création artistique. Dans mes projets, je traite régulièrement des références : L'école ouverte, J'ai tout donné ou encore La carpe et le lapin en sont des exemples. En 2003/2004, avec la pièce La coalition aux Laboratoires d'Aubervilliers, j’ai conçu un Centre de documentation. On y montrait nos différents matériaux ainsi que les œuvres de références réinterprétées et dansées, tout ce qui constituait les sources de la pièce à venir. On dansait, par exemple, Trio A, d’Yvonne Rainer qui était en vogue. C'était important de défendre le fait que nous sommes faits de toutes ces œuvres, qu’on y appuie notre propre désir et notre pratique artistique. Pour le Symposium, j'avais envie de proposer de faire un pas de côté en invitant les artistes à se rencontrer autour de leurs références artistiques. Cela a fait l’objet de débat, avec Dina par exemple qui disait qu’elle aurait préféré proposer aux artistes : « Venez faire ce dont vous avez rêvé, vous avez carte blanche avec ce groupe de vingt personnes ». Ma proposition aux artistes invité.e.s était de construire un workshop, en binôme, en se basant sur un choix d’œuvres et des artistes significatifs dans la construction de leur pratique. Ce que j’appellerai leur « histoire personnelle de l’art ». Il fallait donc pour cela aussi discuter et négocier avec son binôme. L’important pour moi est que ces artistes partagent leurs références plutôt que de mettre en avant leur propre travail. C’est en se décentrant qu’ils abordent les thèmes qui traversent leur pratique. Par exemple en évoquant le travail de Mary Wigman ou la pensée de George Didi Huberman, en parlant pas des autres ils se mettent à distance et se révèlent d’autant mieux.
Amélie : Comment as-tu pensé les différents éléments de cette rencontre : des workshops en binôme aux conférences performées, mais aussi du partage de la vie quotidienne au Centre de documentation ?

Alain : C'est intuitif. De la même façon que pour la création d’un spectacle, je ne sais pas toujours pourquoi je fais les choses. Je pense au côté pratique d’abord. Quand j'ai commencé à penser au Symposium, je me suis demandé combien de jours je pouvais rassembler ces artistes. Une semaine nous a semblé bien. Plus aurait été un peu long, les gens ne pouvant pas facilement se rendre disponibles. Et cela aurait coûté cher. J’ai donné un workshop au début de la semaine, pour souder le groupe, avant d’entrer dans le vif du sujet. Cela leur a donné le temps de préparer leurs propositions et à donner de la cohésion au groupe. Plutôt que de leur demander de se positionner tout de suite, on leur a laissé le temps de se rencontrer. Le lendemain de mon workshop était un jour libre pour construire les propositions, discuter, réfléchir ensemble. Cela créait une histoire commune avant que les propositions de workshops ne commencent. Ensuite, nous avions quatre jours pour quatorze artistes. Le choix de les associer en binômes s'imposait pour des raisons de temps, mais aussi parce qu’en associant chaque artiste à un autre qu'il ne connaissait pas et ne choisirait pas, multipliait les facteurs de rencontres. C'était vraiment important de poser ces contraintes et ce cadre bien défini. La contrainte donne envie de créer, d'inventer des choses. Elle te donne une forme de liberté que l’on a pas si on laisse les choses trop ouvertes. Plusieurs semaines avant le Symposium, les artistes ont échangés des mails, se sont renseignés les uns sur les autres. Cela leur a permis d’anticiper la rencontre. Il y avait donc deux échelles de rencontre : celle du grand groupe de 14 artistes et 8 étudiants, et celle de l’artiste avec le.laquelle former son binôme. Cela permettait une rencontre plus intime. Les binômes ont été formés en cherchant la mixité, de genre, d'origine géographique, et de pratiques. Autant que possible. Une autre idée a été très forte, celle d’inviter des étudiant.e.s à être les assisatnt.e.s/référent.e.s de chaque artiste. Je n'avais pas évalué à quel point la place de ces assistant.e.s allait être grande et enrichir les rencontres entre artistes. Le fait que celles.ceux-ci ne se connaissaient pas, leur donnait d’autant plus de place. Cette troisième personne était autant observatrice, accompagnatrice, que dans le partage des outils et de réflexions. Et les assistant.e.s tenaient une place majeure dans le dispositif, en encadrant l’ensemble, techniquement, logistiquement, et dans la mise en place de la documentation.

Aurélia : Oui, l’enjeu est différent entre rassembler des artistes et rajouter une équipe supplémentaire. Par sa présence, cette équipe d’assistants appelle à une forme d’extériorité et en même temps, un rôle de tampon, d'accueil, d'accompagnement, de liant... Peux-tu nous parler des missions que tu avais imaginé pour ces assistants ?

Alain : Dans mon projet d’École idéale, j’avais imaginé y accueillir des artistes de différentes générations. Les étudiants participeraient aux projets artistiques, accompagneraient les artistes, pourraient être leurs interprètes, donner des workshops en parallèle. Mais aussi y développer leurs propres projets. Je ne les imagine pas juste étudiant et étudiante, mais comme parties prenantes du projet, et avec une large part d’autonomie. C’est cela qu’il m’intéresse de développer dans cette école idéale.

Aurélia : J'ai l'impression que tel que tu le formules, tu envisages un espace de formation pour tout ce qui est autour de la création d’une œuvre afin de s’initier à différents types de savoirs. C’est aussi l’idée que les créateurs s'entourent de personnes qui vont accompagner le processus avec d’autres outils.

Alain : Tout a fait. Dans mon travail, j'ai besoin de gens qui m'accompagnent, qui apportent un autre point de vue, et dont je peux utiliser les ressources. Nous sommes plus fort si nous sommes nombreux. Et créer des groupes me passionne, créer des liens, organiser la rencontre. Du point de vue des étudiants-assistants, en participant au Symposium, je pense qu'il y avait l'envie de profiter de l'occasion pour se former mais aussi de rencontrer des artistes. Ils.elles participaient à la conception de workshops, et les prenaient, tout comme les artistes invité.e.s. Nous avions besoin d’eux.elles pour l’organisation, encadrée par l’équipe de Louma, constituée par Sofia Isabel Salinas Vieira (en stage) et Yulizh Bouillard (chargée de production). Les assistant.e.s prenaient en charge un rôle, une mission, de manière très claire, ce qui leur a donné une place essentielle, et a beaucoup contribué à la dynamique générale. Celle-ci s’est faite aussi dans une certaine forme de fraternité, d’horizontalité, qui ont permis une belle cohésion, beaucoup de plaisir et un approfondissement des processus artistiques.

Aurélia : Oui, je me souviens qu’on avait échangé sur ce point lorsqu’on s’était rencontré à Rennes.

Alain : Cette place des assistant.e.s a été très importante aussi parce que les artistes invités recevaient un petit budget, mais surtout disposaient d’un lieu et d’une équipe. Ce qui est rare. Tous ces éléments ont construit la façon dont a été pensé le Symposium : un projet idéal, avec un mélange de générations, et l’idée de faire se rencontrer et travailler ensemble des gens qui sont là pour des raisons et avec des rôles différents. Le Symposium est ainsi une sorte de lieu utopique. Cette recherche de l'autonomie dans le collectif demande d’être très clair sur la demande et le contexte.

Aurélia : Tu as donné à l’équipe d’assistants une mission de documentation du Symposium, peux-tu revenir sur ce choix ?

Alain : La documentation a toujours été une préoccupation importante dans mon travail. Pour le Symposium, l’idée est venue de créer un blog où rassembler les références des livres, pièces, films... de chaque artiste. Dans le prolongement de cette idée de « background », les artistes étaient sollicitées pour programmer une soirée de films courts, qui nous permettait de découvrir les univers des uns des autres. Et, bien entendu, les conférences-performées étaient encore un autre format de transmission de références.

Aurélia : Pourquoi as-tu choisi le format des conférences performées en solo ?

Alain : Les binômes d’artiste pour les workshops, impliquaient une prise de parole duale. Leur personnalité et leur positionnement artistiques apparaissaient négociés avec quelqu'un d'autre. Et aussi, il était important de les voir porter leur projet artistique en tant que performeur.euse. Comment se mettent-ils en jeu ? Quel type d’adresse ? Quelle forme ? Quelle tonalité ? Au lieu de leur proposer de présenter un extrait d’une de leurs pièces par exemple, il était intéressant de les voir nous présenter leurs artistes de références.

Amélie : La posture de spectateur était-elle importante dans cette rencontre ?

Alain : Oui, mais c’est surtout la question de l’adresse que je souhaitais voir prendre en charge par les artistes dans ces conférences performées. Cela permettait une variété, une alternance de positionnements selon les moments du Symposium : participer à un workshop, le donner, performer, regarder...

Amélie : Notre implication n’était pas figée dans un seul rôle, c’était mouvant. Nous étions là à plusieurs titres.

Aurélia : Ce qui était passionnant c’est que cela nous a obligé à une forme de plasticité et de capacité à recevoir. La force de cette alternance de postures au sein du groupe était une analyse partagée par beaucoup de participants du Symposium. L’avais-tu anticipée ?

Alain : C’est intéressant de t’entendre employer ce terme de « plasticité ». Je l’entends au sens où je l’avais employé dans ma pièce La Coalition aux Laboratoires d'Aubervilliers. Lorsque j’ai pensé une forme pour ce lieu très particulier, j’avais souhaité que dans le temps de la représentation, le public puisse s’y déplacer, et que cela participe à la plasticité du spectacle lui-même, mais aussi à la relation des spectateurs avec les performeurs. La pièce se déroulait successivement et parallèlement dans deux salles des Laboratoires, le hall-accueil-bureau et le studio, puis par moments à l'extérieur. On a fait le choix de ne pas utiliser la salle de spectacle, de l’ignorer, d’en faire une coulisse. Les spectateurs pouvaient s'inventer leur parcours, au fur-et-à-mesure du déroulement de la pièce. J’aime cette idée que le spectacle est une matière que le public peut travailler.
Amélie : Quels sont tes retours sur cette première édition du Symposium? Quelles seraient tes envies futures ?

Alain : J’ai eu des retours analytiques avec le groupe des assistants au cours de nos rendez-vous d’après Symposium. Sinon, ce ne sont pas des retours globaux, mais en filigrane. Avec les artistes, ça dépend. Inês m'a envoyé un message me disant quelque chose comme : « C'était génial. Je suis rentrée à Porto, mais je suis encore dans le rêve du Symposium ». Un grand bonheur était exprimé. Avec Dina, on s'est vu le lendemain, on a mangé ensemble chez moi. On a bien parlé aussi à travers ses précédentes expériences de regroupement d’artistes. J'ai été très heureux de ce qui s'était passé durant huit jours, je ne pouvais pas espérer mieux. Je ne m’attendais pas à une telle force, une telle fusion, une telle liberté et inventivité. Je ne m’attendais pas à une telle joie d’être ensemble. Je l'espérais mais je ne savais pas de quelles façons on savourerait ce qui se jouerait dans cette rencontre. J'y ai beaucoup repensé depuis, et en ai parlé avec Yulizh. Le premier constat a été l’envie de recommencer et le deuxième était de se questionner sur comment recommencer. Je suis un peu frustré qu’on ne puisse pas prolonger la vie de ce groupe qui s’est si puissamment constitué, réaliser d’autres projets ensemble, nous retrouver dans une autre ville, en faire un groupe de travail qui se retrouve régulièrement. Les prochaines éditions du Symposium seront sans doute formidables, mais peut-être pas avec autant de grâce, d’intensité, de fusion.
La difficulté aujourd’hui se situe dans la composition d’un nouveau groupe pour le prochain Symposium. J'ai puisé dans mon « stock » de connaissances qui me semblent convenir pour ce type de projet. Pour la prochaine édition, je vais aller vers des artistes inconnu.e.s, dont on m'a parlé. Je cherche à ce que le groupe soit équilibré, entre des artistes issu.e.s du théâtre, des arts visuels, et pas seulement des artistes de la danse. La dimension européenne est un autre paramètre qui me pousse à aller chercher ailleurs. Et nous augmenterons la durée du Symposium. Avec mon équipe, le temps nous a semblé trop court. C’était comme une ligne droite. Nous imaginons ménager un jour de pause au milieu du Symposium, et à la fin, une journée pour préparer et construire la présentation publique des travaux des artistes sous la forme d’un parcours. Le public sera convié à passer une journée avec nous, à se faire son propre parcours, qui pourrait aller d'un workshop à une conférence, d’une projection de film à une présentation de projet. Nous consacrerons une journée entière à la Table ronde, et nous inviteront le public à dancefloor le soir. Pour que tout cela soit possible, il faudra que le Symposium dure douze jours. Ce temps nécessite de trouver de nouveaux financements et partenaires. J'essaie d'amener les structures universitaires et les écoles, comme celle du TNB, Exerce, Paris 8 et l’EESAB à s’impliquer dans la conception de la Table ronde consacrée à la formation. Pour héberger cet événement, nous pensons à Réservoir-danse à Rennes1. Cela sera une manière d’appuyer la dimension collective du Symposium, et d’affirmer la place qu’à ce lieu dans le paysage chorégraphique national. Par ailleurs, le TU de Nantes m'a proposé de concevoir une université d'été destinée à des artistes post-diplômés. La question serait : que fait-on quand sort tout juste d'une formation supérieure ? Quels sont nos questionnements ? Seront alors réunis de très jeunes artistes, tandis que celles et ceux de l’édition 2018 avaient déjà un parcours, une maturité dans leur projet. J’aimerais aussi réaliser un Symposium dans un autre pays, en partenariat avec un.e des artistes invité.e.s d’une précédente édition. Mais je crains qu’en multipliant les lieux-partenaires cela devienne très lourd. Il faudra négocier, co-choisir les artistes etc. Je suis artiste, pas programmateur. Le Symposium doit rester un projet artistique.

Aurélia : Oui, dans ce cas là, ton travail serait de promouvoir quatorze artistes dans un réseau européen.

Alain : Je n'en ai pas envie. Pourtant c’est intéressant de penser comment ce temps fort du Symposium peut agir, résonner, après qu’il ait eu lieu. On pourrait demander à un artiste de choisir un lieu partenaire dans son pays, un lieu qui pourrait proposer une résidence ou mettre un peu d'argent et nous réunir. En échange, on proposerait à ce lieu de faire parti d'un réseau-Symposium.

Amélie : C'est la réciprocité qui est à inventer.

Aurélia : Tu nous partageais que cette réciprocité s’était inventée de façon différente selon les artistes. C’est l'exemple de ta rencontre avec Liévine Hubert qui a travaillé pour toi en tant que stagiaire. Ensuite, tu as souhaité trouver un cadre où tu puisses l'inviter, ça été le Symposium. L’échange se situe à ton échelle. C’est plus problématique ou délicat si tu essaies de créer un système.

Alain : À un moment, je voulais proposer non seulement à Réservoir danse mais aussi au Triangle de choisir les artistes, mais je suis revenu sur mon idée. J'allais me retrouver à en choisir deux ou trois dans un ensemble, en ayant à argumenter, à négocier peut-être, comme une co-programmation, alors que je sais pourquoi j'ai envie d’inviter tel artiste et pas un autre. Je veux garder cette cohérence, cette liberté.

Aurélia : Ce qui est intéressant ou questionnant, c'est que tu choisis des artistes dont tu sais qu’ils ont cette qualité d'esprit de partage et d'enrichissement mutuel. L'enjeu serait différent si tu choisissais de te frotter à des gens qui ont peut-être moins ces qualités, et de voir comment les mettre au travail pour générer du collectif.

Alain : Pour nuancer, parmi les artistes auxquels je pense, il y a une majorité dont je connais peu le travail. Si j’en perçois quelque chose d’intéressant, mais que je le ou la sens individualiste, je remets en question ce choix.

Aurélia : Au delà de cela, tu parlais aussi du moment dans lequel se place cette invitation. Si c'est un artiste qui est en train de définir son art, il n’est peut-être pas tout de suite dans une mobilité, une envie de le partager ou alors à l’inverse partager va lui permettre de se définir. J'ai cette sensation qu’il y a différents biais pour naître en tant qu'artiste. La proposition du Symposium peut arriver à différent moment du parcours.

Alain : Oui, je dirai qu’il faut déjà être assez construit dans sa pensée et dans sa pratique pour prendre sa place dans le Symposium.
1. En danseuse est un projet vidéo pour lequel Alain Michard collabore avec différents chorégraphes. À partir de toutes les danses qui peuplent leur corps, ils s’essaient individuellement à un solo se faisant ainsi le véhicule dansé d’une histoire de la danse individuelle. Une première partie – une première série de vidéos – est créé en 2018. La seconde partie est prévue pour 2020.

2. Projet engagé en 2013 dans le cadre de l’Université Foraine à Rennes impulsé par l’architecte Patrick Bouchain, le bâtiment Pasteur s’intitule aujourd'hui Hôtel à Projets. Ce lieu accueille des expérimentations autour de différentes pratiques et disciplines.

3. De 1997 à 2001, le groupe des signataires du 20 août se réunit régulièrement au sein de lieux culturels et débâtent des actualités du secteur chorégraphique. Le 20 août 1997, une cinquantaine d’acteurs du milieu chorégraphique signe une lettre adressée à la Ministre de la Culture Catherine Trautmann, « refusant le désengagement de l’Etat dans le secteur culturel par soumission au modèle économique ».

4. « À domicile » est un festival estival basé à Guissény. Des ateliers participatifs ouverts à tous et toutes se tiennent durant une semaine. Depuis 2007 l’objectif du festival, dirigé artistiquement successivement par Alain Michard, Cécile Borne et aujourd’hui par Mickaël Phelippeau, est de sensibiliser les habitants du territoire à la danse contemporaine.

5. La compagnie ORO-Loïc Touzé s’établit à Nantes. En 2011, elle crée un espace de recherche et d’expérimentation pour la danse intitulée Honolulu. Ce lieu accueille les artistes durant leurs travail de création en résidence, des présentation de travaux, des conférences, des projections, des cours et des stages.

6. D’abord dirigé en 2001 par Yvane Chapuis, François Piron et Loïc Touzé, les Laboratoires d’Aubervilliers proposent un espace d’accueil pour toutes les formes imaginées par les artistes (exposition, spectacles, discussion, rencontre…). Le lieu propose également des temps de formation et d’édition. Après la succession de plusieurs directions d’autres projets se sont développés comme le jardinage ou un journal papier de la structure. Les Laboratoires d’Aubervilliers ont actuellement à leur tête, jusqu’en 2021, Pascale Murtin, François Hifler et Margot Videcoq.

7. En 2017, le collectif Danse Rennes est devenu le Réservoir danse puis s’est installé au Garage. Dans une optique de mutualisation au profit d’une gestion partagée, le lieu propose des résidences aux artistes, des ouvertures au public et un espace rassemblant des ressources telles que des livres, des magazines etc.